Les Dernières Lueurs
Je profite du podcast de Romaric pour fournir le pdf des Dernières Lueurs, mon dernier jeu de rôle, disponible sur le site des Vagabonds de Rêve ou sur DriveThruRPG.
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Je voulais intituler cet article « Qu’est-ce que le jeu de rôle ? », mais je me suis dit que c’était un brin provoc.
Dans les années 70, la science-fiction a exploré tous les mondes possibles. Le jeu de rôle peut-il le faire ? Est-il capable de proposer d’autres univers que le nôtre avec son soleil, sa planète et ses humains dirigés par un grand chef blanc ?
Je t’avais prévenu que le 3e épisode srait un peu particulier. Il est aussi en 2 parties. Si tu admets que toute partie de jeu de rôle est une suite de scènes à résoudre, il serait intéressant pour un auteur de réfléchir aux types de scènes qu’il propose dans son jeu.
Je me demande si d’autres auteurs. Il me semble qu’on identifie bien les scènes de combat. Une grande partie de la production rôliste en propose une gestion fine, mais les autres ?
Essai de typologie. Un seul jeu, à ma connaissance, fait une typologie des scènes proposées et du mode de résolution de chacune. Il s’agit de Vade†Mecum (Romaric Briand, 2018). L’auteur distingue 7 types de scènes, ou plutôt 11, même s’il ne s’agit pas toujours de scènes au sens propre (p. 33-39).
Ce qui m’intéresse, c’est que ce jeu s’inscrit a priori dans le genre du polar, comme Terres Suspendues. On y retrouve donc des scènes classiques du polar : la scène de combat, la scène d’investigation, la scène de contact, la scène d’interrogatoire, la scène d’expertise scientifique, la scène d’introspection… toutes ces scènes qui rythment une enquête. Sans oublier la fameuse scène de discussion entre joueurs/personnages qu’on retrouve dans toutes les parties.
On pourrait faire une typologie de scènes pour n’importe quel jeu, tant qu’il propose un type de partie précis. Dans Donjons & Dragons, tu avais, à chaque pièce, une scène d’exploration où tu cherchais les pièges, les trésors et tout ce que tu pouvais ramasser.
Quand tu croisais quelqu’un, tu avais d’une scène de rencontre (agl. encounter). Si le monstre ou le PNJ était intelligent, tu pouvais parler avec lui et éventuellement le corrompre avec de l’or. S’il n’était pas intelligent, tu pouvais le corrompre avec de la nourriture. Dans les deux cas, s’il acceptait, la rencontre se terminait. Par contre, s’il refusait, ou si tu ne lui proposais rien, il attaquait et la scène de rencontre devenait une scène de combat.
On a là encore un mode de résolution par scène. Pour chaque scène, l’auteur décrit les règles qui s’appliquent.
La scène de dialogue. De la fameuse scène de rencontre est née la scène de dialogue, un classique dont j’ai déjà parlé. Cette scène se résout habituellement en roleplay. Plutôt que de s’appuyer sur les règles internes du jeu, ou de faire un jet de dé quelconque, on décide que la scène se jouera « en vrai », les joueurs et le meneur improvisant à tour de rôle les répliques du dialogue.
Pour convaincre le PNJ, tu dois convaincre le meneur, et pour séduire le PNJ, tu dois séduire le meneur, ce qui peut parfois créer un malaise. La résolution est liée à la décision du meneur, ou à un jet de dé avec un bonus/malus décidé par le meneur.
En fonction de l’importance que le meneur accorde à ces scènes de dialogue, elles peuvent facilement se remplacer par un sommaire.
LE JOUEUR. Je vais chez le forgeron acheter une épée.
LE MENEUR. Ça te fait 10 pièces d’or.
Les autres scènes de dialogue. Une partie polar a plusieurs variantes de la scène de dialogue. Tu peux discuter avec un contact, un témoin, un suspect ou ton commanditaire. La scène d’interrogatoire en fait aussi partie.
La scène d’interrogatoire peut facilement dégénérer en scène de torture, et c’est au meneur de fixer les règles. En roleplay, on peut arriver à des scènes assez glauques. Perso, je suis pas fan des scènes de torture, c’est pour ça que je pose mes règles. À Terres Suspendues, les PJ jouent des patrouilleurs, filmés en permanence, et la magie leur permet d’obtenir facilement des aveux.
Quand ils ont face à eux un exécuteur qui a été payé pour faire ce qu’il a fait, il sait pas grand-chose. On demande rarement le nom de son commanditaire quand on est payé pour assassiner quelqu’un, surtout à Terres Suspendues où le meurtre est courant, résurrection oblige. Quand ils ont face à eux un coupable, le sort d’obéissance est très utile.
Dans le cas d’un contact ou d’un commanditaire, c’est plus simple. Dans un cas, tu as besoin d’une info, dans l’autre, tu attends une mission. Là encore, tu peux avoir des variantes. C’est le contact lui-même qui vient te proposer une mission, pour lui rendre service. Ou alors c’est le contact lui-même qui vient de proposer une info. Dans tous les cas, les règles sont simples et la résolution se fait en roleplay, par échange avec le meneur et décision de lui.
La scène d’exploration. Une partie polar a aussi ses propres scènes d’exploration, ou plutôt d’investigation. Tu explores la scène de crime ou un autre lieu à la recherche d’indices. Encore une fois, le meneur a 2 choix de résolution : faire appel à ta propre perspicacité ou te demander de faire un jet. Cette scène peut aussi déboucher sur un scène de dialogue avec un témoin ou un suspect.
La scène de recherche a lieu, elle, dans ton bureau (sur des fichiers papiers ou fichiers numériques), dans une bibliothèque ou dans un labo. Les choix de résolution sont les mêmes.
Dans Terres Suspendues, l’accès à la Sphère et Desdémone facilite les recherches. Le sort de vision dans le passé, lui, facilite la recherche d’indices dans une scène d’investigation.
Quel que soit le jeu, c’est typiquement dans ce type de scène qu’on fait appel à une capacité particulière d’un PJ.
La scène d’ambiance. Une scène d’ambiance est là pour mettre un peu de couleur dans la partie. Son mode de résolution importe donc peu. Il s’agit juste de te plonger dans l’univers.
Ça peut être une scène de dialogue, ou une scène plus contemplative où tu n’as rien à faire que regarder ce qui se passe.
La scène de course poursuite. La scène de course poursuite est un classique des polars. Il me semple difficile de la rendre en jeu de rôle, parce que la partie s’appuie sur les mots, et pas sur les images. J’ai le souvenir que Cops, un jeu de Croc sorti en 2003, proposait un mini-jeu pour simuler les poursuites. C’est le seul exemple que j’ai en tête, et c’est en jeu auquel je n’ai jamais joué…
Ce 3e épisode est un peu particulier, parce que je vais partir d’un peu de théorie. N’importe quelle partie de jeu de rôle se découpe en scènes à résoudre.
Cette affirmation demande un peu d’explication. Le jeu de rôle est une activité surtout orale qui a des liens avec le conte, le roman, le théâtre, le GN, le cinéma et la bédé. En tant qu’activité orale, il s’appuie sur des mots avant de s’appuyer sur des images.
Les mots & les images. C’est la première différence avec le théâtre, le GN, le cinéma et la bédé. Quand le cinéma me montre un personnage, il lui suffit d’une image. On n’a rien besoin de dire sur le personnage pour qu’on s’en fasse une idée à son apparence, à son style vestimentaire…
En jeu de rôle, comme dans le conte ou le roman, parler d’un personnage ne suffit pas. Si je dis « Lucile », je dis très peu de choses sur le personnage. C’est une femme, et c’est à peu près tout. Pareil si je dis « la patrouilleuse ». J’en dis à peine plus. Pourtant, ça peut suffire à éveiller chez mon interlocuteur, toi en l’occurrence, une image. C’est le propre de l’imagination : la capacité à créer une image mentale à partir de simples mots. Si je dis « chat » ou « arbre », je fais naître dans ton cerveau une image de chat ou d’arbre. Hélas, elle n’a pas grand-chose à voir avec l’image que j’ai dans ma tête à ce moment-là. Et j’aurais beau te parler des heures de ce chat ou de cet arbre, il ne sera jamais exactement la même dans ma tête que dans la tienne. C’est la limite de l’oral.
En revanche, l’oral a un avantage sur l’image. Il permet d’exprimer des émotions, des sentiments. C’est plus compliqué avec l’image. Quand tu vois un personnage au cinéma, tu ne connais ses émotions et ses sentiments que s’il les montre. Dire « J’ai faim » ou « Je suis en colère » ne prend que quelques mots. C’est plus compliqué à le montrer par des images.
Voilà pourquoi on galère dans un roman à décrire un personnage et pourquoi c’est facile de parler de ses sentiments. Au cinéma, c’est l’inverse.
Des histoires. Les mots et les images ont des propriétés différentes, mais ils ont un point commun : le cerveau a de la peine à les mémoriser. Pour s’en souvenir, il a besoin de se raconter une histoire.
Si je dis « clé, hélas, erreur, venir, quand, besoin, il, sens », il y a de grandes chances que tu oublies les mots que je dis. Par contre, si je dis « Il entra avec sa femme dans la pièce », tu n’auras aucun souci à les retenir. Dans les deux cas, j’ai 8 mots, mais, au lieu de te bombarder d’images mentales, je te donne des images qui te permettent de créer facilement une histoire. Et c’est pareil avec les images.
Je peux facilement jouer avec cette capacité de ton cerveau. Si je te dis deux phrases « Il a recommencé à boire » et « Sa femme l’a quitté », tu vas inconsciemment créer un lien entre les deux phrases. Le surréalisme a beaucoup joué avec les limites de cette capacité du cerveau en mettant bout à bout des phrases incompréhensibles comme « Le chat est bleu. La terre est une olive. » Malgré toi, tu vas essayer de te faire une histoire.
On obtient le même effet au cinéma avec le fameux effet Koulechov. Le cinéaste Koulechov choisit dans un film 3 images du visage d’un acteur. Il intercale ensuite une image d’une assiette de soupe sur une table, d’une femme morte dans son cercueil et d’une fillette en train de jouer. Pour les spectateurs, le visage exprime tour à tour l’appétit, la tristesse et la tendresse.
Les scènes. Quel rapport avec les scènes et le jeu de rôle ? Si j’admets que le jeu de rôle est d’abord une activité orale et donc que la partie me raconte une histoire, j’ai besoin d’une unité pour mesurer cette histoire. C’est pour ça qu’on a créé la scène.
Avec des mots ou des images, je crée forcément des scènes : des personnages sont dans un lieu et font quelque chose à un moment donné. Une scène se définit par ces 4 constantes : des personnages, un lieu, une action et un moment. Même si on a un personnage tout seul assis en silence à ne rien faire pendant quelques minutes, c’est une scène. Une scène contemplative, mais une scène quand même.
Les scènes peuvent s’enchaîner les unes aux autres. Quand on supprime une scène ou plusieurs, parce qu’elles sont sans intérêt, on appelle ça une ellipse. Quand on raccourcit plusieurs scènes, on appelle ça un sommaire. Avec des mots, il suffit de dire « Ils voyagèrent pendant trois jours et affrontèrent, de temps à autres, des groupes de rescapés ». Voilà plusieurs scènes raccourcies.
Tu as conscience de ces scènes quand tu joues une partie, n’importe quelle partie, même si tu ne fais pas le découpage dans ta tête.
La résolution. J’en arrive au cœur de ma réflexion. En jeu de rôle, chaque scène a sa résolution, mais elle n’utilise pas toujours les mêmes moyens pour le faire. Pour Ron Edwards, dans son Big Model, il n’y a que 3 façons de résoudre une action : Drama, Fortune ou Karma. Soit je raconte ce qui se passe de façon assez logique, soit je lance les dés, soit je compare des valeurs, chiffrées ou non. Le dernier cas mérite un exemple. Si mon personnage se promène la nuit, que je joue un elfe et que les elfes voient la nuit, j’utilise 2 valeurs non chiffrées pour résoudre l’action, la valeur elfe et la valeur voit la nuit.
On travaille beaucoup en jeu sur la résolution d’action, mais sans réfléchir à une résolution par scène. D’un jeu à l’autre, d’une table à l’autre, d’une partie à l’autre, on ne résout pas toujours les scènes de la même façon. Une scène de dialogue, par exemple, peut se résoudre par un simple échange entre les joueurs et le meneur chacun improvisant le dialogue au fur et à mesure.
Du coup, il me semble nécessaire de faire une liste des types scènes possibles avant de réfléchir à un jeu. Parce qui si le nombre de scènes possible est infini, les types de scènes sont peu nombreuses à un jeu donné.
Le ver était dans la pomme. C’est ce qui a pourri le jeu de rôle et, en même temps, ce qui en a fait sa force.
Il y a une différence fondamentale entre ce jeu et les autres, une toute petite règle qui change tout : la règle qui fait d’un des joueurs l’arbitre. Tu sais celui qu’on appelle le meneur de jeu. Il n’y a pas d’arbitre quand tu joues aux échecs ou aux cartes, sauf en tournoi, et c’est quelqu’un de formé, pas le premier venu.
Quand tu joues à un jeu et que deux joueurs ne s’entendent pas sur un point de règle, on fait une pause. On relit les règles et on tranche, pas toujours dans le calme. Sinon le jeu s’arrête.
En jeu de rôle, on se tourne vers l’arbitre, puisqu’il est là à la table, et on lui demande de trancher. Et il fait de son mieux. S’il fait une pause pour consulter les règles, il risque de perdre l’attention des joueurs et la confiance qu’ils ont en son impartialité. Il risque aussi de casser le bleed.
Les conséquences sont terribles. Imagine la même chose aux échecs, qu’il faille trois joueurs pour jouer : un joueur blanc, un joueur noir et un arbitre. En cas de doute, le réflexe naturel est de se tourner vers l’arbitre. On fait tous ça. Quand l’arbitre est là, on a tendance à le solliciter en permanence. Quand il est loin, on hésite à l’appeler.
Imagine. Vous jouez aux échecs à trois. Vous découvrez tous les trois le jeu et tu poses une question naïve à l’arbitre :
« Oui, mais si la reine noire est secrètement amoureuse du roi blanc, elle va pas le trahir, si 😕 »
Il fait une pause, relit les règles et te répond :
« T’as pas le droit, c’est pas écrit dans les règles. »
Imagine la même chose en jeu de rôle. Il n’y avait rien d’écrit là-dessus dans le premier jeu de rôle. Comment as réagi l’arbitre ? Il a peut-être répondu :
« T’as pas le droit, c’est pas écrit dans les règles. »
Il a peut-être aussi créé un précédent. La fameuse règle d’or : l’arbitre peut modifier les règles. Et à partir de ça, c’est le bordel. Il n’y a plus une seule façon de jouer à Donjons & Dragons, mais autant que de tables. Imagine ça aux échecs, que chaque table joue avec ses règles.
Du coup, s’il y a autant de façons de jouer à Donjons & Dragons que de tables, chacun a le droit d’écrire ses règles à lui et de faire son propre jeu de rôle. C’est là où on en est aujourd’hui…
Je vais continuer à disséquer avec toi ma façon de jouer au jeu de rôle, ce que j’aime en partie, à travers le jeu Terres Suspendues.
Il y a une vingtaine d’années, on a beaucoup parlé de méta-jeu (metagaming) en jeu de rôle. Quand tu fais parler ton perso pour dire qu’il a 15 en Force, tu brises l’immersion. Tu rappelles brusquement dans la fiction que ton perso est juste un perso, pas une vraie personne à qui il arrive de vrais trucs. L’illusion tombe, et les autres joueurs risquent de t’en vouloir.
J’ai fait des études de lettres. Quand on oppose immersion et méta-jeu, je pense immédiatement à ce qu’on appelle identification et distanciation dans les romans, les films, les séries ou les pièces de théâtre. On parle d’identification quand on maintient l’illusion que le perso est une vraie personne à qui il arrive de vrais trucs. On parle de distanciation quand on brise l’illusion. L’actrice descend de la scène, va voir un spectateur et lui demande ce qu’il pense de son mari.
La distanciation, c’est parfait quand c’est voulu, comme Guignol qui parle aux enfants dans le théâtre de marionnettes, mais quand ça tombe comme un cheveu sur la soupe, ça fait chier les autres, parce que ça les sort, contre leur volonté, de l’illusion où ils se sont confortablement installés, la fameuse suspension d’incrédulité (suspension of disbelief).
Le problème en jeu de rôle, c’est qu’il faut constamment faire appel au système, rappeler des règles… et ça, ça tombe comme un cheveu sur la soupe.
Deux solutions : la carotte ou le bâton. Perso, je préfère la carotte : intégrer le système à la partie. Sur les Terres Suspendues, un perso peut dire « J’ai 15 en Force » ou « J’utilise mon arme comme focus » parce que ça fait partie de la physique de l’univers. Exactement comme tu dis en parlant de toi « J’ai eu 15/20 en maths » ou « J’ai une licence d’histoire ».
Le deuxième problème, c’est qu’on est tous autour de la table, qu’on joue une équipe, mais que, souvent, un perso peut se retrouver seul quelque part, et que les autres sont pas sensés être là. Je connais deux solutions en tant que meneur : prendre le joueur à part dans le couloir ou demander aux autres joueurs de se taire. Je déteste ça en tant que joueuse, c’est pas très carotte.
Voilà pourquoi, il existe deux sorts courants sur les Terres Suspendues : la sentinelle et le téléport. La sentinelle permet d’appeler un perso pour lui parler, un peu comme une visio-conférence ou un hologramme dans Star Wars. Le perso et le joueur peuvent donc choisir d’écouter les autres persos ou pas. Pareil pour le téléport, sauf que le perso débarque physiquement sur place. Voilà qui est plus carotte.
Une dernière astuce. Autour de la table, on boit souvent, on mange souvent. J’aime intégrer ça dans la partie, et pas seulement à Terres Suspendues. Les imageries servent à ça. Dans d’autres univers, on a des auberges, des tavernes, des bars, des cafés… Pour peu qu’on adapte la nourriture et la boisson à la partie, c’est parfait. Dans une partie steampunk que je menais un été, j’ai commencé la partie chez un limonadier et servi de la limonade aux joueurs. Dans une partie extrême-orientale, j’ai servi du thé.
Le jeu de rôle est une activité qui a un peu plus de 50 ans. C’est une activité de groupe, surtout orale, et il est difficile d’en parler à l’écrit. En plus, à la différence d’autres activités plus standardisées, il y a mille façons d’y jouer et de s’y amuser. Pas facile donc d’écrire quelque chose de synthétique sur le sujet.
Comment on joue ? Comme beaucoup de rôlistes, j’ai écrit mon propre jeu de rôle, ou plutôt mes propres jeux de rôle, à défaut de tous les avoir publiés. Et, comme tout le monde, j’ai fait ça au doigt mouillé, avec cette idée un peu absurde que tout le monde joue comme moi et cherche la même expérience de jeu. Je me suis mis le doigt dans l’œil, comme la plupart des auteurs.
En 50 ans, le jeu de rôle a évolué, mais pas des masses. Les premiers jeux de rôle étaient juste des systèmes (game system), c’est-à-dire des systèmes de résolution d’action, surtout en combat. À ces systèmes, on a greffé des cadres (setting), c’est-à-dire des éléments de décor ou d’univers. On a pensé qu’en détaillant le plus possible ces systèmes et ces cadres, on arrivera au jeu de rôle idéal. C’était une erreur.
Et puis, on a réfléchi à la partie elle-même (game) et à ses règles. Tout un vocabulaire a émergé, un vocabulaire précis et pertinent, mais difficile à maîtriser. Au point que certains ont trouvé que ça avait tué le jeu (fun).
Pour tout te dire, je m’emmerde souvent en partie si mes attentes ne sont pas un minimum satisfaites. J’ai acheté beaucoup de jeux qui me plaisaient, et que je n’ai jamais fini de lire. Je me suis arrêté à leur accroche (pitch), ou à leur proposition créative (creative agenda) si tu préfères. Je joue souvent à des jeux que je n’aime pas, juste pour le plaisir de voir comment ils fonctionnent, pour l’expérience ludique.
C’est à force d’écouter un podcasteur rôliste, Romaric Briand, pour pas le citer, que j’ai réalisé que peu de rôlistes expliquent comment jouer à leurs jeux dans leurs bouquins. On a juste un manuel d’instructions, difficile à comprendre quand on sait pas comment l’auteur mène la partie. Oui, tu vas me dire qu’il y a des jeux sans meneur (gamemaster). Parlons d’intermédiaire (dealer) alors. Tu sais, celui qui te propose de passer un samedi soir pour jouer chez lui avec des potes un jeu, tu vas voir, il est génial.
L’intérêt du polar. Si tu t’es pas arrêté de lire après cette longue introduction, autant te dire tout de suite que je vais parler de Terres Suspendues et comment j’y joue. Pas vraiment pour parler de moi, mais pour essayer de mettre par écrit les règles d’une partie « pour de vrai ».
J’ai pas la prétention d’avoir écrit un bon jeu, ni de savoir bien mener une partie, j’optimise juste ce que j’ai à disposition.
Quand je mène une partie, je me donne plusieurs contraintes, pour me faciliter la tâche. Je joue dans un genre précis, le polar. Plutôt que de reprendre les codes des romans policiers ou des séries policières, je les adapte au jeu de rôle. J’ai besoin que les joueurs à la table jouent une équipe soudée. S’ils travaillent tous pour la police, ça leur donne une raison de travailler réellement en équipe. Les objectifs des joueurs et des personnages se mélangent (bleed).
Autre intérêt, les personnages ont un objectif de base et des raisons de l’accomplir : c’est leur job de résoudre une enquête. Là encore, ça se mélange.
Dernier intérêt, quand, au bout de 3-4 heures de partie, l’enquête se termine, la partie se termine aussi. Pas besoin de compter sur les joueurs pour faire un résumé la fois suivante, pas de problème pour ajouter un nouveau joueur à la prochaine partie, pas de problème non plus si un joueur est absent.
C’est donc un format tout bénéf.
La seule contrainte que j’évacue, c’est l’enquête trop bien ficelée, façon Hercule Poirot. En partie, aucun personnage n’a jamais d’idée lumineuse, de « Bon sang, mais c’est bien sûr », qui résout d’un coup l’enquête. Aucun personnage ne découvre non plus le fin mot de l’histoire en analysant un vague résidu de je-ne-sais-quoi sur une empreinte de chaussure.
Je pars donc sur une enquête simple, très simple, pour être sûre que les joueurs puissent la résoudre. Je garde juste pour la fin un petit twist (retournement de situation), un choix moral à faire qui implique les joueurs, bleed again.
Le scénar. Je joue toujours sans scénar, j’aime pas ça, trop linéaire, trop dirigiste à mon goût. J’aime que les personnages soient au cœur de l’intrigue, que ce soient eux les héros.
Ne pas pouvoir prévoir les choix des joueurs n’empêche pas de les anticiper. Comme les héros font partie des forces de l’ordre, les joueurs ne peuvent pas faire n’importe quoi.
Une deuxième astuce consiste à faire jouer en ville. On peut pas échapper à une ville. Je te parlerais un autre jour de ma vision de la ville comme labyrinthe et de mon obsession pour Dark City. Plus sérieusement, quand leurs personnages sont en ville, les joueurs ne pensent pas à les en faire sortir. Et, dans une ville, le nombre de lieux à visiter est limité, c’est le principe de la cage dorée.
Pas besoin de scénar donc puisque les personnages iront toujours quelque part pour rencontrer quelqu’un. Ça tombe bien, j’ai une liste de personnages et de lieux tous prêts, chacun sur un Post-it®.
Le point de départ de la partie est la préparation. Je prépare juste l’intro. Quelqu’un ou quelque chose a disparu dans des conditions mystérieuses, et il faut le retrouver. Un incident a lieu, et il faut calmer les esprits… C’est le point de départ de L’Affaire du jardin aux Ours par exemple : des manifestants bloquent un parc public, 2-3 personnes influentes sont impliquées là-dedans, comment éviter que la situation dégénère ?
L’important, c’est que j’ai pas de solution. Je sais pas comment la partie va finir. Un scénar que je fais jouer plusieurs fois finit rarement de la même façon. C’est difficile quand on joue en campagne et pas en one-shot, parce que ça oblige à s’adapter aux joueurs d’une partie à l’autre, mais c’est l’intérêt du jeu.
Quand on fait des personnages des joueurs les héros, quand on les met au centre de la partie, il faut accepter que leur rôle change la donne.
Voilà pour ce premier épisode, que j’espère à suivre.
Merci à toi. Bonne lecture et bon jeu.
À Encoche, comme dans l’Empire, le blanc est d’abord la couleur du deuil.
Autrefois, avant l’arrivée des ogres et avant qu’on apprenne à ressusciter les morts, on enveloppait les morts dans un linge blanc. Aujourd’hui encore, la famille d’un mort et ses proches portent le blanc.
Le blanc est aussi la couleur des fantômes retenus prisonniers sur le monde matériel.
Il est enfin la couleur des veneurs de la Maison Fauve. Ces exécuteurs d’élite sont des messagers de mort, et on les identifie facilement à côté du seigneur ou du maître marchand qu’ils servent.
Pourtant le blanc est aussi associé au luxe depuis que la compagnie Opale a le monopole sur le tissu blanc, dans l’Empire et à Encoche. Tous ceux qui fabriquent ou vendent du linge ou des vêtements blancs sont donc obligés de s’affilier à Opale.
La compagnie impose que tous les articles blancs soient vendus 20% plus cher. Porter une chemise blanc opalin est donc une manière d’afficher son Rang et son niveau de vie. Ceux qui n’ont pas les moyens préféreront une chemise blanc cassé ou blanc crème.
Les règles du jeu précisent que c’est l’avantage Réseau de Relations (p. 34) qui détermine qui sont tes contacts. Une règle inutilement compliquée et qui ne précise pas comment acquérir des contacts en partie.
L’aide de jeu qui suit devrait simplifier les choses.
Tes contacts de base. Tu commences avec 3 contacts. Ils peuvent faire partie de la pègre, être proches des cercles du pouvoir ou être des gens ordinaires. Par contre, toi et tes collèges, vous ne pouvez pas être plusieurs à avoir le même contact.
Pour chaque contact, note son nom, son activité, son espèce et le quartier où il exerce. Note ensuite s’il te doit une faveur à l’aide d’un ▲ ou si c’est toi qui lui en doit une à l’aide d’un ▼.
Mégarde connaît Jaspe, Lucerne et Tancrède. Jaspe▼ est une allumée elfe qui vit dans les Crasses Pouilles. Lucerne▲ est un patrouilleur loup qui travaille pour la portuaire. Tancrède▲ est un pontife elfe qui habite le quartier des Cloches Perlées.
Broussaille connaît Bengale, Hagard et Fine. Bengale▲ est un intermédiaire tigre qui travaille pour les Griffes dans le quartier des Lanternes Sales. Hagard▼ est un rimeur elfe dans le quartier des Nobles Envies. Fine▼ est une trafiquante belette dans le quartier des Mordes Failles.
L0, de son côté, connaît Lucrèce, T0V6 et Balsame. Lucrèce▼ est une secrétaire elfe dans le quartier des Affaires Cessantes. T0V6▼ est un exécuteur hixel dans le quartier des Hautes Sphères. Balsame▲ est un machiniste gnome dans le quartier des Arcs Boutants.
À eux trois, ils ont des contacts dans pratiquement chaque quartier de la ville.
Les services & les faveurs. Tu ne peux jamais ignorer un contact, et il ne peut jamais t’ignorer. S’il t’appelle et qu’il a besoin de toi, tu peux lui demander de te rappeler plus tard, mais n’attend pas plus de quelques heures. Pareil si tu l’appelles, il peut te demander quelques heures, mais pas plus. Et jamais si c’est urgent.
Tu peux demander un service ou une faveur à un contact, et il peut faire de même. Un service est un échange de bon procédés. Tu lui demandes quelque chose et tu lui offres quelque chose en échange. Tu lui demandes de te renseigner sur un gang et tu lui offres un verre en échange. Il te demande de retrouver une antiquité et il te paie en échange.
On parle de faveur quand tu n’as rien ou que ton contact n’a rien à échanger. Une faveur est un « gros » service. Si tu acceptes de retrouver son mari disparu, ta contact te devra certainement une faveur. Si un contact accepte de te mettre en relation avec une riche pontife pour qu’elle te soutienne, tu lui devras une faveur.
En partie. Que serait un patrouilleur sans ses contacts ? En partie, les contacts servent à faire avancer l’intrigue en t’informant plus rapidement ou en te facilitant la tâche. Ça peut aussi servir d’intrigue secondaire, ou même d’intrigue principale, quand un contact vient te demander d’honorer une faveur.
À chaque partie, fais-toi de nouveaux contacts parmi les personnes que tu rencontres. Si tu acceptes de fermer les yeux sur l’activité d’un gang, leur cheffe peut devenir ta contact et te devoir une faveur. Là encore, toi et tes collèges, vous ne pouvez pas être plusieurs à avoir le même contact.