
La Légende de l’Aube
Parmi les légendes qui parlent de la création du monde, les elfes retiennent souvent la légende de l’Aube, une histoire qui remonte aux Âges Perdus, une époque si reculée que la tradition se perd.
En ces temps anciens, le monde n’avait pas le visage que nous lui connaissons aujourd’hui. Le ciel était l’Abîme, une étendue sombre et glacée qui s’étendait à l’infini. C’était le domaine silencieux du Firmament, sombre seigneur solitaire drapé dans son manteau de nuit frangé d’éclaboussures de rêves.
Quand l’Aube apparut, elle arracha le Firmament à son aveuglement et les cours de l’Abîme refluèrent autour d’elle, dévoilant les géants de givre, immobiles et silencieux. Alors vint le Jour.
Le Firmament fut alors pris d’un soudain désir pour l’Aube vierge. Il vint à elle et la soumit à son étreinte. De son souffle, naquirent les vents impétueux qui roulent en tempêtes et s’apaisent en brises légères. De son écume, naquirent les flots tourbillonnants qui courent en torrents et s’endorment en lacs tranquilles.
Puis la Nuit vint sur les deux amants et avec elle ses filles cauchemardes. Sur le corps du Firmament, elles répandirent leur venin qui pénétra son esprit et noya son âme. L’Aube avait abusé d’elle, il le voyait clairement maintenant.
Le sombre seigneur se leva alors de sa couche et appela à lui l’Abîme, excitant les géants de givre contre l’Aube assoupie. Qu’ils déferlent sur elle avec leur lot de guerre et de souffrances, qu’ils blessent ses flancs avec violence et marquent son corps de leurs froides étreintes.
L’Aube alors, saisie de détresse et d’horreur, tira du Jour les trois Seigneurs Émeraude qui portaient sur leurs ailes le souffle vivifiant du printemps.
Ensemble, ils s’élevèrent au-dessus de la déesse en une large volute. Puis ils s’abattirent sur leurs ennemis qu’ils lacérèrent de leurs griffes. Une première fois, les géants de givre tombèrent et une première fois ils se relevèrent.
Alors, une seconde fois, le Firmament appela l’Abîme et excita les géants de givre contre l’Aube. Il souffla sur eux les mots de la colère et, une seconde fois, ils déferlèrent avec une force que les Seigneurs Émeraude ne purent longtemps contenir.
L’Aube tira alors du Jour les trois Seigneurs Topaze qui portaient sur leurs ailes la bienfaisante chaleur de l’été.
Ensemble, ils s’élancèrent dans leur manteau de gloire et ils fondirent sur les géants de givre en une pluie de griffes. Dans leur chute, les géants comprirent l’erreur du Firmament, mais sa voix portait leurs corps lourds et les forçait sans cesse à continuer leur lutte vaine.
Un à un, les géants tombèrent et les puissants seigneurs, dans leur fureur, n’eurent de cesse avant de les avoir tous terrassés. Sur le corps du dernier d’entre eux, ils entonnèrent le chant du triomphe.
L’Aube tira alors du Jour les trois Seigneurs Rubis qui portaient sur leurs ailes les premiers vents de l’automne.
Des géants de givre, ils prirent les fruits de la victoire et s’enivrèrent du sang partagé avec leurs frères. Tous burent longuement de leurs gueules avides. L’ivresse délassait leurs corps et noyait leurs sens.
Alors le monde porta la lente agonie des géants de givre et le Firmament porta sa douleur jusqu’aux Seigneurs de l’Aube formant sur eux les mots amers du jugement. Le sang versé serait désormais leur seule nourriture.
L’Aube vit alors les corps tombés et les lèvres gonflées de ses enfants. Elle comprenait où l’avait conduit la rage de son amant et son propre aveuglement.
Une dernière fois, elle tira du Jour les trois Seigneurs Saphir qui portaient sur leurs ailes l’empreinte glaciale de l’hiver.
Ensemble, ils plongèrent les corps des géants de givre dans le sommeil et noyèrent leur sens dans l’oubli. Alors mourut leur plainte. Mais les derniers géants devaient s’échapper. Ils garderaient dans leur fuite leur profond ressentiment.
Alors, pour masquer leur crime, les puissants Seigneurs de l’Aube prirent les corps des géants. De leur chair, ils firent Terres Innombrables. De leur chevelure, ils firent un écheveau de mousses et de bruyères, d’herbes et d’arbres chargés de fruits. De leurs yeux, enfin, ils firent les cristaux qui sertissent le Firmament. Ils guideraient les Terres Innombrables qui erraient alors sans voies déterminées et qu’ils règlent leur mouvement. Il y aurait désormais un jour et une nuit et les saisons succéderaient aux saisons.
Des premières graines ramassées et dépouillées de leur enveloppe, ils firent les insectes chétifs. Ils seraient la mémoire du monde, parcourraient les Terres Innombrables et rapporteraient aux Seigneurs de l’Aube tout ce qui s’y passe.
Pour étancher leur soif de sang, les Seigneurs firent ensuite des arbres et des rocs, ramassés et dépouillés de leur écorce, deux espèces à jamais ennemies, les elfes et les ogres. Elles seraient leurs champions et joueraient sur leur terrain le jeu des puissants Seigneurs de l’Aube.