Œil de corbeau
Y a deux choses que je déteste quand je me fais tuer. Ça fait mal et ça fout du sang partout. Et j’ai horreur d’avoir les poils pleins de sang.
Ça s’est passé comment cette fois ? Ah oui, ces gars sont entrés à L’Aube promise et ont commencé à flinguer tout le monde. Ils pouvaient pas choisir une autre imagerie, non ? C’est là où tous les patrouilleurs viennent prendre un verre après le travail. La moitié d’entre nous était encore en uniforme.
J’ai réagi aussitôt et protégé Colin, mais j’ai à peine tenu un instant. Une balle est venue m’exploser la cervelle.
T’imagines pas le mal de chien ! Et puis soudain plus rien. Enfin, plus rien, façon de parler. Plus de son, plus d’images, surtout. Le noir complet. Toutes nos excuses pour cette coupure momentanée… « Perte brutale de conscience », disent les spécialistes. Je t’en foutrais. Ton esprit lui, il continue à fonctionner à plein, ou plutôt à vide. Tu m’étonnes que les fantômes gambergent et soient tous à moitié cinglés. Deux jours à ce régime, tu tiens pas.
Bon, panique pas. Avec un peu de chance, les gars qui ont fait les marioles se sont fait dessouder et les patrouilleurs recollent les morceaux. Si ça se trouve dans un quart d’heure, une demi-heure, on va s’occuper de toi. Rester patient. Rester calme.
Ils pouvaient pas choisir une autre imagerie, non ?
»Là tu commences à gamberger ? »
Hein ? C’est quoi cette voix dans ma tête ?
»Pas dans ta tête, animal. Derrière toi. Ouvre les yeux et retourne-toi. »
Hein ? Les morts sont pas sensés ouvrir les yeux ni se retourner, si ?
»Fais ce que te dis. Et arrête avec tes questions. »
J’ouvre les yeux et me retourne. Il y a corbeau sur un arbre au milieu d’une plaine.
»Ta-dam. »
Ta-dam ?
»Ben, déjà tu me vois. C’est un début. »
Ben, oui, je te vois, mais c’est quoi ce délire ?
»Arrête avec tes questions, je te dis. C’est vraiment un truc à vous les deux-pattes. Parle normalement. »
»Comme ça ? »
»Ouais, c’est mieux. »
»Je suis pas mort ? »
»Si. Mais là, on a vraiment pas le temps alors j’ai dû accélérer. »
»Accélérer quoi ? »
»Ta récupe, évidemment. Faudrait finir par vous habituer à la mort les deux-pattes. »
»M’appelle pas deux-pattes, l’oiseau. Je suis un renard et je m’appelle Broussaille. »
»Si tu veux… Bon. La mort, tu connais ? C’est pas ta première fois. »
»Nan. »
»Bon, le choc, faut t’en remettre un peu plus vite. La perte de conscience, c’est bon. Maintenant ton âme a pu prendre le relais. »
»Hein ? »
»Ben, oui. Où tu crois que t’es ? Ta-dam. Au Royaume des Mooorrrts
Même si techniquement, y a pas de roi. »
»La plaine, l’arbre et toi, c’est le Royaume des Morts ? »
»La Plaine des Trépassés. C’est ce que tu vois à ta mort. L’arbre, il existe que dans ton imagination. Ça devait être plus pratique. »
»Hein ? Attends, tu veux dire que l’arbre existe pas. »
»Oui et non. »
»Arrête un peu. De quoi tu parles ? »
»T’es mort, je te rappelle. Techniquement t’as plus d’yeux ni de rien du tout. C’est pas avec tes yeux que tu vois, mais avec ton imagination… »
»Attends, tu veux dire que toi aussi t’es imaginaire ? »
»Oui… Non. Arrête tout de suite. Je suis pas ton ami imaginaire. Je suis un vrai corbeau. Moi aussi je suis mort. »
»Si t’es mort, tu vois la même chose que moi. »
»Non. Je suis un corbeau, et les corbeaux ont pas d’imagination. La Plaine des Trépassés, l’arbre, ton corps, c’est ta manière à toi de te dire que tout ça existe. »
»Mon corps ? Mais je suis à poil ! »
»Non. Tu te vois à poil. Parce que t’as une imagination limitée. C’est comme ça que tu te vois. Fais un effort d’imagination et tu te verras fringué. »
»Ahhh ! »
Le cri m’a échappé. J’ai à nouveau mes fringues, mais du sang plein les mains et des bouts de cervelle…
»Classique. Soit tu te vois à poil, soit comme au moment de ta mort. T’as vraiment une imagination limitée ! »
»Je voudrais t’y voir. »
»Moi ? J’ai aucune imagination. Bon, maintenant que t’as fait ton numéro, on peut passer aux choses sérieuses ? »
»Les choses sérieuses ? »
»J’y viens. Si tu m’interrompais pas tout le temps… Regarde-moi dans les yeux. »
Je regarde le corbeau.
»Plus près. »
J’écarquille les yeux.
»Faut que je vois quoi ? »
»Ma gueule ? Tu la remets ? »
»Attends… »
Le corbeau se frotte les plumes pour tromper son impatience.
»Non, dis rien. Je vais trouver. »
Sa tête me dit bien quelque chose. Il y a deux corbeaux à L’Aube promise, Hutin et Mutin, deux sacs à vin.
»Tu sais que je t’entends, même quand tu parles dans ta tête ? Oui, moi c’est Mutin », fait-il d’un air agacé. « Je suis mort parce qu’on a besoin de toi. »
»Hein ? »
»Tu vas pas arrêter avec ça. C’est un truc de corbeau. On sait parler aux morts et voir l’avenir. On sait aussi mourir et ressusciter très vite. Pourquoi tu crois qu’on boit comme des trous ? Pour oublier tout ça. »
»Attends, attends. Mourir et ressusciter très vite ? »
»Oui. Hop, on meurt, et hop, on ressuscite. Tu connais un autre moyen d’aller dans le Royaume des Morts et de revenir ? »
»Attends. T’es mort pour me ramener ? »
»Non. On a besoin de toi. Et t’emballes pas. J’ai pas dit j’ai besoin de toi, mais on a besoin de toi. »
»Qui on ? »
»Ysengrin ? On a fait un marché avec lui. »
»Ysengrin ? »
C’est le patron de L’Aube promise. Un vieux loup. Il a autrefois servi comme patrouilleur. C’est comme ça qu’il a perdu l’œil gauche. Une bagarre à ce qu’on dit.
»Ouais, Hutin et moi, on est comme qui dirait liés à lui et on doit plus ou moins faire ce qu’il nous demande. Et il veut qu’on te ramène. »
»Me ressusciter, tu veux dire. »
»Non, c’est un loup, il sait pas faire, mais il dit que tu peux aider dans cet état. Alors arrête avec tes questions. Concentre-toi sur moi et me lâche pas des yeux. »
Je le fixe intensément. Il déploie alors ses ailes et s’envole.
« T’es sûr que ça a marché ? »
Colin est tourné vers Ysengrin qui me fixe de son œil unique.
Je m’étire. J’ai l’impression d’être cassé de partout.
»Pas fâché d’être à nouveau en vie. Par contre, si vous pouviez faire quelque chose pour le sang et les bouts de cervelle. »
»Te fatigue pas », me dit le loup. « Personne peut te voir ou t’entendre. T’es toujours mort. »
Colin hésite et regarde dans la même direction que le loup.
»Il est vraiment là ? »
»Ouais. Son fantôme, en tous cas. »
Fantôme, c’est bien ma veine. Qu’est-ce qu’on veut que je foute dans cet état ?
Je suis toujours à L’Aube promise. On est coincé à sept dans une pièce minuscule, la réserve sans doute : il y a tout une enfilade de tonneaux de bière et des caisses remplis de bouteilles de squale. Au moins, on a de quoi tenir un siège.
À côté d’Ysengrin et de Colin, je vois deux patrouilleurs que je connais de vue. Ils sont bien amochés. L’un pisse le sang et l’autre à la gueule cramée. Hutin est là aussi avec Mutin. Il se lisse frénétiquement les plumes.
»Va me falloir une bière », fait le corbeau.
Ysengrin fait semblant de pas l’entendre.
»Écoute bien. C’est sans doute la première fois que t’arrives à ça. En général, faut des mois à un fantôme pour y arriver. Mais on a pas tout ce temps devant nous. On a réussi à se barricader ici. Dehors, c’est une vraie boucherie. »
Colin avance doucement vers moi comme hypnotisé. Je me recule d’instinct. Ysengrin écarte mon collègue de la patte avant de continuer.
»Impossible d’appeler des renforts ou de se téléporter. Ils doivent brouiller les communications. »
Le truc m’échappe.
»C’est quoi l’intérêt de ces gars ? de nous couper du monde ? »
»On en sait foutre rien, mais c’est pas le problème. Dans l’immédiat, il faut prévenir les renforts. »
»Comment ? »
»On compte sur toi. T’es le seul à pouvoir traverser l’imagerie sans te faire repérer. Jonas a essayé en invisible et il s’en fait cramer la gueule. »
»Qui te dit que j’aurais plus de chance ? »
»T’en connais beaucoup qui peuvent voir les morts ? »
Il a pas tort. De ce que j’en sais, y a que les ogres qui peuvent y arriver, et encore pas tous. Déjà, qu’Ysengrin arrive à les voir, c’est un truc que je m’explique pas.
»Ça se tente. »
»Bon. On s’est barricadé. On peut tenir longtemps comme ça. Jusqu’à présent, ils nous empêche juste de sortir. Va direct à l’hôtel de ville. Sur place, perds pas de temps. T’es mort et personne peut te voir. Va à la section santé. Il a que certains moines ogres qui peuvent te voir… Vertèbre et Timon bossent toujours chez vous ? »
Je fais oui de la tête.
»Bon, je te souhaite bonne chance. »
»Bonne chance », me fait Colin sans me voir.
Bonne chance, tu parles. C’est moi qui doit me taper tout le boulot. Je m’approche de la porte. De l’autre côté, on entend presque rien, tout est calme.
Je passe doucement la tête par la porte. C’est froid et baveux, comme si des escargots me passaient dessus. Beurk ! Dans l’imagerie, c’est vrai que c’est une boucherie. Tout le monde a été décapité ou cramé. Je compte les gars qui font partie de la bande. Cinq, huit, non dix. Tous des elfes. Tous sur leurs gardes. Enfin, pas tous. Deux moustachus sont en train de désaper les clients. C’est quoi leur plan ?
Je traverse complètement la porte pour aller me cacher dans l’ombre. Je sais, ils peuvent pas me voir, mais je me sens pas de me planter sous leur nez. Je préfère rester caché. Question d’habitude.
Ils désapent pas tous les clients. Juste les elfes en uniforme. Ça sent vraiment mauvais. Soit ces gars sont des fétichistes, soit ils ont besoin d’uniformes de patrouilleur pour autre chose. En tous cas, c’est pas des amateurs et ils sont pas là par hasard.
Je me glisse doucement jusqu’à la porte d’entrée en longeant les murs. Ouais, je sais. Je pourrais carrément traverser les murs, mais ça m’a suffit tout à l’heure.
Les gars sont étonnamment calmes. Ça a quelque chose de flippant. Ce sont tous des pros, ou presque. Le blond près de l’entrée et le brun au comptoir ont pas l’air super à l’aise. Ils parlent doucement, comme pour eux-mêmes.
Deux elfes sont devant la porte. Il va falloir que je leur passe à travers. J’ai pas plus envie de ça que de traverser le mur. C’est à ce moment-là que l’un d’eux se retourne, les yeux rivés sur moi. Je suis en plein dans son champ de vision. Immobile. Il m’a vu.
Il pose la main sur son flingue et le pointe sur moi.
»Arrête ça tout de suite ou je te descends ! »
Euh, si je suis un fantôme, il peut me descendre ?
Fais pas le con, gagne du temps. Dit un truc. N’importe quoi.
»D’accord, j’arrête. »
Eh ? mais c’est pas moi qui dit ça !
La voix vient de derrière moi. Le blond dans le coin. Celui qui parle tout seul.
M’a fait flipper ce con. J’ai le palpitant qui bat la chamade.
Calme-toi. T’es mort. Y a plus rien qui bat à l’intérieur.
Avance. Naturel. Personne n’a rien vu. Hop, pardon, évite le gars devant toi. Je suis pas sûr que ce soit bon de le traverser. Par contre, le deuxième a pris ses aises. Je vais me pencher un peu pour passer.
Là, oui. Outche ! Je frissonne. Le gars aussi. Je viens de lui effleurer le coude. Toujours cette sensation froide et baveuse.
Le mouvement brusque du gars n’a pas pu échappé aux autres.
»Doucement, on se détend », fait l’un des moustachus en train de dépoiler les cadavres.
Le gars à la porte se reprend. Le blond et le gars au flingue aussi.
C’est le moment d’y aller.
Dehors, la nuit est déjà bien avancée et les dernières boutiques sont en train de fermer. L’hôtel de ville est à deux pas. Je remonte la rue Morgue pour traverser la place aux Corbeaux. J’avance en évitant les passants. J’ai pas envie d’en traverser sans faire exprès.
Je passe par la rue aux Cerfs pour prendre l’entrée réservée aux patrouilleurs, à l’arrière du bâtiment. Les deux elfes de faction font pas davantage attention à moi que les autres. Je prends l’escalier central en évitant trois patrouilleurs et je file directement au deuxième sous-sol où se trouve la section santé. Je vais pour ouvrir la porte de la salle quand la poignée m’échappe. Je suis un fantôme, mais j’ai pas encore l’habitude.
Allez, juste une porte à traverser. Prends sur toi.
Je me jette à l’eau. À nouveau, cette sensation de se faire caresser par des escargots. Beurk !
»Vertèbre ? Timon ? »
Et merde ! Aucun des deux n’est là. Dans la salle, trois ogres, un gnome et deux elfes s’occupent des morts et des blessés.
Je gueule un coup.
»Ohé ! Quelqu’un m’entend ? »
Personne ne se retourne, c’est pas gagné. Comment je peux leur faire comprendre que je suis là ? Ils font comment les fantômes pour apparaître et pour déplacer les objets ?
Il suffit peut-être de se concentrer, de…
Aaahhh !
»Brou ? »
Timon vient d’ouvrir la porte de la salle et m’a traversé le corps. Sa grosse main poilue me sort de la gorge.
Je gueule :
»Enlève ça tout de suite, c’est dégueu ! »
L’ogre retire sa main d’un coup.
»J’ai horreur de ça ! » fait-il en se massant la main. « Tu fais quoi, là, dans cet état ? »
Tous ceux qui étaient dans la salle nous regardent sans comprendre.
»Un fantôme », fait Timon pour les rassurer. « Je m’en occupe. » Puis il s’adresse à nouveau à moi. « Alors ? »
»L’Aube promise. Une bande de gars ont foutus la merde là-bas. Ils ont coupé les communications avec l’extérieur. C’est Ysengrin qui m’envoie vous prévenir. »
Timon a l’air surpris, mais il me fait confiance et à Ysengrin aussi. On est pas du genre à lui faire une blague pareille.
»Bon sang ! J’appelle le central ! »
L’enquête pour les débutants
À Encoche, il est plus facile d’enquêter quand on est patrouilleur : les gens vous reconnaissent à votre uniforme ou à votre insigne. Mais cela peut être aussi un handicap. Quand on enquête sur la pègre ou sur des personnes suspectes, mieux vaut ne pas se montrer tout de suite en uniforme ni s’annoncer comme patrouilleur.
Que vous soyez ou non patrouilleur, voilà les quelques règles de base à avoir en tête.
Identifier quelqu’un. On peut identifier quelqu’un de plusieurs façons. Quand on croise une personne, on peut la reconnaître. C’est une action automatique en réminiscence. Si on ne connaît pas la personne, on peut tout de même lire sa signature, ce qui permet de la reconnaître plus tard ou d’identifier ses actions ou ses sorts.
On peut demander à quelqu’un d’identifier une personne en lui montrant un visuel d’elle. Ce genre d’illusion est plus facile à faire pour les elfes qui ont tous assez d’Artifice.
On peut aussi demander à quelqu’un d’identifier une personne en lui montrant sa signature. Cela nécessite une action en Savoir d’une puissance égale au Rang de la personne.
Dans les deux cas, il faut se rappeler qu’une identification ne prouve rien. Si la personne qu’on cherche à identifier s’est transformée ou s’est métamorphosée, son apparence aura changé. Sa signature peut aussi être falsifiée. Et si c’est quelqu’un d’autre qui l’a transformée ou métamorphosée, non seulement son apparence a changé, mais sa signature se confond avec celle du sort, et donc avec celle de l’autre personne.
Les patrouilleurs peuvent identifier une personne en consultant les archives, mais seulement si elle fait appel aux patrouilleurs comme protecteurs ou si elle a été mise en cause dans une agression ou si elle a porté préjudice à quelqu’un. Hélas, d’un district à l’autre, les archives ne sont pas les mêmes. À l’hôtel aux Corbeaux, elles sont gérées par Desdémone. À l’hôtel des Monarques et à l’hôtel Eustache, elles sont gérées par une section spéciale. Si on appartient à un autre district, il faut faire une demande auprès du central de l’hôtel, mais elle aboutit rarement. Mieux vaut avoir un contact ou un allié sur place, la réponse sera plus rapide. Si on ne fait pas partie des patrouilleurs, on a besoin d’un contact ou d’un allié sur place.
Une personne qui fait appel aux patrouilleurs comme protecteurs leur donne toujours son adresse. Ce renseignement utile est donc facilement accessible.
Si on sait que la personne est mage, on peut se renseigner au Secrétariat Hermétique de la Loge Invisible, mais mieux vaut avoir contact à la Loge Invisible. Le secrétariat peut donner ce genre de renseignement à un patrouilleur, mais pas nécessairement. Le patrouilleur doit avoir de bonnes raisons de poser la question.
Si on pense que la personne fait partie de la pègre, mieux vaut avoir un contact ou un allié chez les Griffes ou chez les allumés.
Dans tous les cas, il n’est pas nécessaire de se déplacer. Si on a la formule « Présence », un simple appel suffit.
Contacter quelqu’un. Il est très facile de contacter quelqu’un, même qu’on ne connaît pas. Il suffit d’avoir son nom pour l’appeler. Il faut tout de même avoir soi-même la formule « Présence » et que l’autre personne l’ait aussi. Cela ne veut pas dire que la personne vous répondra, même si vous êtes patrouilleur, mais vous pouvez toujours laisser un message.
Se renseigner sur un habitant. Quand une personne n’est pas chez elle, il est interdit d’entrer chez elle sans son accord, même quand on est patrouilleur, à moins qu’on soupçonne une agression. Un appel au secours, une porte ouverte ou enfoncée sont des motifs suffisants pour soupçonner une agression.
Dans le cas contraire, mieux vaut se renseigner auprès du logeur ou de la logeuse. Dans tous les immeubles, il y a quelqu’un à l’entrée qui s’occupe de l’immeuble. C’est lui qui encaisse les loyers et veille au ménage et à l’entretien. Il est employé par l’archimage propriétaire de l’immeuble et c’est souvent un ou une gnome.
Le logeur connaît forcément le nom de propriétaire de l’immeuble et celui des locataires, il est parfois au courant de leurs petites habitudes. Il le dira facilement à un patrouilleur, moins facilement à un étranger.
Une fois qu’on connaît le nom du propriétaire, on peut se renseigner auprès de lui. Il n’est pas nécessaire de se déplacer. Si on a la formule « Présence », un simple appel suffit. Les archimages répondent rarement directement : la plupart ont des secrétaires qui s’en occupent. Encore une fois, on répondra sans problème à un patrouilleur, moins facilement à un étranger.
Interroger quelqu’un. Un patrouilleur a le droit d’interroger n’importe qui dans son district. Ne pas répondre est considéré comme suspect et peut justifier que le patrouilleur vous immobilise ou vous tue. Cette loi vaut d’ailleurs pour tous les protecteurs à partir du moment où ils se présentent comme tels.
Par contre, rien ne vous oblige à répondre la vérité. Le patrouilleur, ou le protecteur, n’a pas le droit ni de vous forcer à répondre à l’aide d’un sort d’obéissance, ni de vous influencer en suscitant chez vous un sentiment, ni de vous torturer par la force. Dans tous les cas, il s’agirait d’une agression et elle pourrait être punie de mort définitive.
Cela n’empêche pas des patrouilleurs de le faire. Tant qu’on ne se fait pas prendre, on ne risque rien !
L’Affaire Garelin
L’Affaire Garelin est un scénario déjà publié. Le voilà adapté à la 3e édition.
L’Affaire Capsuline
L’Affaire Capsuline est un nouveau scénario publié pour la 3e édition. Il tourne autour de la rivalité entre les patrouilleurs de la haute et de l’entre.
L’Affaire Cybèle
L’Affaire Cybèle est le scénario publié dans la 2e édition sous le nom Pour les yeux d’une belle. Le voilà adapté à la 3e édition.
Les Patrouilleurs
L’article concernant les patrouilleurs et le bureau 357 a été mis à jour pour correspondre avec la 3e édition.
Si vous faites jouer un groupe de patrouilleurs à Encoche, il est indispensable de lire cet article.
Parole de tigre
Fais jamais confiance à un tigre, surtout si c’est un ami.
Bengale est un tigre de la pire espèce. On a pratiquement grandi ensemble. Quand on était gosse, on se fait tout le temps sur la gueule. Forcément, ça crée des liens. On a fini par être amis, enfin, autant qu’un renard et un tigre peuvent être amis
Une amitié comme ça, c’est pas donné à tout le monde, on la gâche pas. Et, crois-moi, j’ai pas de meilleur indic dans le milieu. Oh, il m’épargne jamais, mais quand on traite ensemble, il se déplace toujours en personne. Et ça, chez un tigre, c’est une sacrée marque de respect.
Il marche toujours tranquille. Comme ceux qui savent que rien peut leur arriver.
Il m’a appelé y a un quart d’heure pour qu’on se retrouve place du Roi Borgne. Seul. Il est deux heures du matin. À cette heure, y a personne d’autre que lui et moi. Assis à califourchon sur une gargouille de la fontaine, je me relève avant de bondir au sol.
Je jette un dernier coup d’œil à la place. Aucun endroit où se cacher. Les lampadaires éclairent à peine, mais on voit encore assez bien. J’ai poussé mon Sens au maximum. Les lieux sont vides. Pas d’exécuteur invisible.
Pareil du côté des guides. On est dans les bas quartiers, et y a pas de réseau. Pas question de compter sur un téléport d’urgence ou sur une arrivée imprévue.
»Salut Broussaille. »
»Bengale. »
Le tigre est resté à quelques mètres de moi. Il est pas armé. Il en a pas besoin. Avec ses griffes, il peut me couper en deux.
De mon côté, j’ai sorti mon flingue, bien en évidence, pour prévenir tout coup fourré.
»J’avais dit seul », fait Bengale.
»Je suis seul ! »
»Pas moi ! » Y a une pointe de regret dans sa voix. « Tu sais que je déteste sortir seul. »
Cinq silhouettes apparaissent à ses côtés. Des mages elfes : des allumés. Sacrément doués aussi : je les ai pas vus arriver, même en poussant mon Sans au maximum.
Pourquoi je suis pas davantage surpris ? Y a Sambre avec eux, un elfe avec un tatouage de flammes sur la figure. Quand je l’ai croisé avant-hier, je savais que c’était lui le cerveau de la bande. Il est là, avec ses gars en renfort.
Seul, j’ai aucune chance. Autant je peux faire la différence avec mes flingues et mes griffes, autant mes chances sont faibles face à leurs boules de feu.
»J’ai tenu promesse », continue Bengale. « J’ai le médaillon. »
Il sort de son gilet un truc brillant et va pour me le donner.
»Pas trop vite. On le garde », fait aussitôt Sambre.
Bengale le regarde de toute sa hauteur.
»J’ai promis à Broussaille de lui remettre le médaillon en main propre et j’ai bien l’intention de le faire. Un tigre a qu’une parole. Libre à toi de le reprendre après, si tu veux. Ça devrait pas être trop difficile à cinq contre un, ou tu as encore besoin d’aide ? »
Bengale lance ça avec mépris, mais les autres voient ça comme une bonne blague.
»Tu vois, t’auras pas besoin de moi », fait Bengale. « Voilà le médaillon, Broussaille, et… adieu. »
Le tigre laisse le bijou dans ma main et part sans se retourner. Les cinq allumés le regardent s’éloigner et se tournent vers moi. Ils affichent un air suffisant. Typique des elfes !
»J’imagine que vous vous contenterez pas de reprendre le médaillon ? »
Ils acquiescent. C’est fou comme ils ont l’air malin !
»Bien. Puisque vous me laissez pas d’autre alternative, je vais devoir vous demander de vous rendre. »
Sambre ricane tout en jouant avec son briquet.
»Et pour quel motif, je te prie ? »
»Si tu veux bien me laisser sortir ma plaque. »
»Eh ben, sors-là qu’on voit ? »
Je m’exécute.
»Inspecteur Broussaille. Vous êtes visiblement tous les cinq mages et je tiens à voir vos licences d’exercice de la magie. Si vous refusez, je serais en devoir de vous immobiliser. »
Tous les cinq ricanent de concert.
»Oh ! Vas-y ! Arrête-nous, tu nous feras plaisir », fait Sambre.
C’est à mon tour de sourire.
»Vous refusez ? »
Je pointe mon flingue sur sa gueule.
Derrière moi, j’entends un petit craquement. Roche vient de sortir d’une des gargouilles de la fontaine. La gnome secoue la tête pour ôter la poussière de ses couettes. Il n’y a pas forcément besoin d’être invisible pour se cacher : les gnomes savent se fondre dans la pierre.
Des deux autres gargouilles sortent Hasard et Mégarde, l’exécuteur et le mage. Roche les a cachés ici avant que j’arrive. L’équipe est au complet.
Les cinq allumés sont plus aussi sûrs d’eux.
Je souris une dernière fois.
»Bengale aimerait pas savoir que je lui mens, mais je vous fais confiance. Vous lui direz rien. »
Je tire. Sambre souffle sur son briquet et crache un déluge de feu. Une vague de chaleur déferle sur moi. Elle m’atteint pas : Roche m’a dématérialisé avant.
Sambre, lui, est touché en pleine tête.
Très vite, les boules de feu volent autour de nous. Roche nous protège en nous dématérialisant à tour de rôle. Mégarde refroidit les ardeurs des allumés en gelant leurs flammes. Cela nous laisse le champ libre, à Hasard et à moi, pour nous les faire. Je tire en rafales pendant qu’Hasard fait tournoyer ses lames de poing.
Beau carnage ! Le feu m’a roussi le poil. Mes fringues sont en partie cramées. Le sang a éclaboussé le reste.
Mes coéquipiers sont dans le même état.
»Okie ! On s’en est tirés. C’était plutôt chaud. Ça va, vous ? »
»Tu parles », fait Mégarde. « C’est encore moi qui vais devoir tout nettoyer. »
Il pointe son bâton de mage sur ses fringues et fait disparaître le sang et la cendre.
»Allez, à votre tour. »
Hasard se retourne vers moi.
»On laisse les mages ici. Ça leur servira de leçon. Je sais pas sur qui ils vont tomber dans le quartier. Pas sûr qu’ils remercient celui qui les ramènera à la vie. »
»Espèce d’obsédé ! » fait Mégarde.
»J’ai rien dit », répond Hasard avec son air innocent.
»Mais bien sûr. »
Je reprends la parole.
»Quand vous aurez fini de vous mettre sur la gueule, je compte bien qu’on y aille. Faut que je rende visite à un ami. »
La Palestre est à la frontière du port et des bas quartiers. C’est une imagerie un peu à part. J’en connais pas de plus imposante. L’établissement date d’avant les Guerres Thaumaturgiques. Il a été construit par Hortence le Sévère pour que les habitants de la ville profitent des plaisirs sains de la lutte et du bain. Avec les guerres, l’imagerie a perdu tout son lustre. T’imagines même pas ce que coûte l’entretien du bâtiment.
Il y a vingt ans, le tigre Sircane a proposé de racheter La Palestre et de restaurer sa gloire d’antan. Le Conseil Logique s’est pas fait prier. La somme versée a aidé les archimages à fermer les yeux sur les activités parallèles du tigre, prince bien connu chez les Griffes.
Depuis, La Palestre est devenue une sorte de territoire neutre dans le milieu. C’est là que se retrouvent les pires malfrats. La seule règle est de savoir se tenir. On a le droit de se battre à la lutte, mais pas pour déclencher une bagarre. En cas de manquement aux règles, y a qu’une seule sentence : la mort définitive.
Je sais que Bengale y vient souvent en fin de matinée. Il est là dans cette piscine immense entourée de trois panthères noires. L’eau fume doucement et le tigre prend ses aises.
Il faut reconnaître qu’il a du goût. Même si j’aime pas beaucoup les félins, elles sont toutes les trois sublimes. Comme tous les tigres, Bengale aime en mettre plein la vue.
»Broussaille ! »
Je lis la surprise dans ses yeux. J’approche, la serviette sur les hanches.
Le temps que j’arrive à lui, Bengale a fait sortir les filles.
Je reste à deux ou trois mètres de lui au bord de la piscine. J’ai presque l’impression de le dominer de la tête.
»Tu t’en es sorti ? »
»Pas grâce à toi ! Mais ce qui compte, c’est que j’ai récupéré le médaillon. »
Bengale reste tranquille, mais les panthères ont senti la tension dans l’air et sortent lentement de la piscine. Elles ont mieux à faire ailleurs.
»Tu m’as donné rendez-vous un peu vite. Un quart d’heure ? J’avais même pas le temps de me préparer ! »
»C’est ce qu’ils voulaient. Je t’aurais jamais fait un coup pareil. C’est même eux qui ont choisi la place du Roi Borgne. »
»Waouh ! voilà qui ressemble presque à des excuses. »
Bengale montre les crocs.
»Je vais pas me battre ici. Tu le sais. »
»Je connais les règles. Rassure-toi. Je me disais que tu aimerais savoir comment je m’en suis tiré. Je te dois bien la primeur de l’info. »
Je me rapproche comme pour lui faire la confidence.
« J’étais sûr que tu me planterais. Tu resteras toujours un tigre… J’ai croisé Sambre avant-hier. J’ai compris qu’il était derrière l’affaire. Il a suffi que j’altère un poil ses souvenirs, lui implanter une idée toute simple dans la tête. Il s’en souvient même pas… »
Bengale grogne doucement.
»La place du Roi Borgne. Une place idéale pour régler son compte à un renard, seul à seul. C’était un pari risqué, mais après tu t’imagines comme c’était facile. J’ai eu tout le temps que je voulais pour me mettre en planque et il a suffi d’attendre que tu m’appelles. »
Je souris en montrant largement les crocs.
»Enfin, moi, avec cette histoire, j’ai pas encore pris le temps de pisser. »
Et joignant le geste à la parole, je me soulage dans l’eau de la piscine.